IMAGES D'UNE PENSÉE SAUVAGE

EXPOSITION

Une exposition, un événement, qui a autant marqué le lancement de notre collectif que souder nos liens. Une exposition qui vous a été proposée par nos six membres : Camille Douville, qui a notamment mis à disposition sa grange située au cœur du marais poitevin, Eve Champion, Adrien Bisecco, Thomas Héron, Jeanne Lepeltier et Josselyn David.

Ici, notre volonté était de rassembler divers domaines contemporains. Avec la collaboration d'Anne-Perrine Tranchant, professeur de philosophie et amie, l'écriture s'est jointe à nous au travers du texte introductif de l'exposition : 'Faire des images d'une pensée sauvage'. La danse nous a également rejoint le soir du vernissage grâce à Maxime Aubert, chorégraphe, interprète et ami, qui a exécuté une performance dans le jardin avoisinant.

FAIRE DES IMAGES D'UNE PENSÉE SAUVAGE

La forêt borde la maison. La silva, forêt vierge, menaçante et indocile d’où naît le mot « sauvage » commence là où s’arrête la domus, domaine et domicile où tout est réglé, organisé, dominé. Le sauvage limite et menace la pensée. C’est la férocité du dehors, du corps qui échappe, des événements qui engloutissent. C’est le chaos, le lieu où sombrent hiérarchies, structures, rationalité. Les humain·e·s, les bêtes, les plantes qui ont été et sont appelées « sauvages » le sont en vertu du fait qu’elles ne penseraient pas, ou bien qu’elles ne se plieraient pas avec assez de docilité aux règles imposées par celles et ceux qui s’estiment capables de penser. C’est que le sauvage, ramené au statut de « nature », est en même temps objet par excellence de la pensée. La menace fascine et doit être contrôlée — ou détruite. Ainsi « penser le sauvage », le définir, le circonscrire et le domestiquer par l’exercice de la rationalité est l’un des grands projets de la modernité philosophique et technique. Matrice du colonialisme, du sexisme, de l’exploitation prédatrice et généralisée d’une nature transformée en ressource, cette rationalisation du sauvage provoque son extinction, réelle comme figurée.

Changer un tout petit peu les mots, et partir à la recherche d’une « pensée sauvage » renverse la donne. Il ne s’agit plus de considérer ce qui a été nommé « sauvage » et, à travers la malédiction de ce nom, bannis à la marge de l’activité rationnelle ou annihilé dans sa domestication, comme l’ennemi esclave de la pensée, mais comme un sujet capable d’énoncer sur lui-même et sur nous un discours audible et intéressant — pourvu que l’on sache bien l’écouter. Et il y a là une véritable difficulté. Comment écouter ce qui échappe, ce qui a été réduit, non au silence, mais au brouhaha du cri inarticulé, au grondement de la pulsion brute, à ce dont on a dit qu’il ne pouvait être pensé que de l’extérieur ? Ce serait une usurpation de se faire passer pour sauvage, de jouer au sauvage, mais nous pouvons peut-être prêter, pour un temps à ce que l’on nomme « sauvage » notre maîtrise toute humaine des codes de la rationalité. La pensée risque dans cette rencontre de devenir une entité joyeusement monstrueuse à la recherche d’autres territoires que l’expression langagière pour exister.

Prétendre faire des images d’une pensée est en effet un processus subversif. Traditionnellement, une pensée se parle et s’écrit, car la conception est réputée plus noble que l’imagination.

Lorsqu’elle prend des formes imagées, c’est sous la figure d’illustrations, images assujetties qui accompagnent et explicites ce que les mots disent. Existent aussi des cartes, des tableaux, des graphiques, images totalisantes largement utilisées dans la production scientifique, comme autant de formes alternatives, mais tout aussi systématiques d’organisation de la pensée. Mais s’il s’agit ici de cartographier, c’est sous la forme sensible et subjective, incomplète, ouverte d’un travail artistique. Cohabitent ainsi propositions complémentaires et contradictoires, puisqu’il faut multiplier les perspectives pour débusquer le sauvage dans tous les recoins de ce qui est silencié, de ce qui résiste au contrôle de la rationalité, et parfois à la perception elle-même, afin de tenter l’expérience toujours périlleuse de traduire (et parfois de trahir) sa pensée en la mélangeant à la nôtre.

Habiter en complice le sauvage des choses, des temps, des lieux et des êtres, c’est accepter l’oscillation précaire entre le danger de voir la pensée engloutie, et celui de causer la mort du sauvage domestiqué. Se tenir sur un fil, fréquenter sans apprivoiser, réduire sans détruire de tels antagonismes est une position inconfortable. Mais c’est certainement sous la tension de ce ciel orageux, que l’on trouve le plus fertile des territoires. Une pensée sauvage, n’est pas un oxymore, mais l’expression vigoureuse du désir de libérer toute la force que peut avoir la pensée.

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